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Théoricien et pédagogue progressiste reconnu, Philippe Meirieu travaille depuis longtemps sur l’école, et particulièrement sur les inégalités entre enfants, qui handicapent sa mission émancipatrice et éducatrice. Depuis la fermeture générale des établissements scolaires en France en raison de la crise du Covid-19, il analyse les problèmes suscités par l’enseignement à distance via Internet. Face à la « fracture numérique » et aux inégalités sociales, il rappelle notamment le rôle essentiel, pour le développement des enfants, de l’institution scolaire, indispensable lieu de collectif et de solidarité.

Vous expliquez dans un texte récent que cette crise du coronavirus a montré, « en creux »« l’importance de faire la classe, ou de faire l’école », qui est indissociable d’un « espace-temps collectif et ritualisé où la parole a un statut particulier ». Mais, surtout, combien « les outils numériques d’aujourd’hui semblent porteurs d’une logique individuelle et techniciste ». En quoi ces outils pèchent-ils en matière d’éducation ?

Philippe Meirieu : Je voudrais remonter un peu dans le temps pour rappeler ce qui est au fondement de l’école républicaine, chez Jules Ferry mais surtout chez celui qui en a théorisé le projet : Ferdinand Buisson. Il a souligné dans son célèbre Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire que l’école n’est pas simplement un lieu pour apprendre, mais un lieu pour « apprendre ensemble ». Et le mot « ensemble » est tout aussi important que celui d’« apprendre » !

Dès le départ, cela a été un projet très clair et très explicite de la République, qui a ensuite été fortement revivifié après la guerre de 1914-1918, lorsqu’est né un grand mouvement d’intellectuels, d’universitaires et d’ouvriers qui s’appelait les Compagnons de l’université nouvelle, et dont le principal slogan était qu’il fallait que les fils et les filles de ceux qui avaient veillé ensemble dans les mêmes tranchées puissent apprendre, côte à côte, sur les bancs de la même école. Cette volonté a été réaffirmée par la suite de façon assez extra-ordinaire par celui qui fut sans doute le meilleur ministre français de l’Éducation nationale, Jean Zay, au cours des gouvernements du Front populaire. Il a vraiment fait de cette rencontre entre les individus pour construire du commun le cœur de l’école républicaine. Enfin, c’est le projet que l’on trouve au centre du texte issu du Conseil national de la Résistance, le plan Langevin-Wallon, qui demeure mythique en la matière pour la gauche : l’idée d’une école commune qui est l’institution d’un collectif et d’une préfiguration d’un lien social, donc de la société. Lire la suite…